Le Zen se définit comme une école subitiste au moins depuis le Sixième Patriarche, Huineng, qui a mis en avant le "jeu simultané de la Triple Discipline". La Triple Discipline (Prajna, Sîla et Dhyâna) est la Quatrième Noble Vérité du Sentier qui mène à l'Extinction de la Souffrance. Elle se décline en huit pas représentant l'Octuple Sentier. Les trois premiers pas appartiennent à la Prajna (Sapience) : 1) Compréhension juste, 2) Pensée juste, et 3) Parole juste. Les deux pas suivants appartiennent à Sîla (Ethique) : 4) Action juste et 5) Moyens de vie justes. Enfin, les trois derniers pas appartiennent à Dhyâna (mal traduit par "méditation") : 6) Effort juste, 7) Attention juste et 8) Concentration juste.
Dans les écoles gradualiste, la pratique commence généralement par Sîla et Dhyâna, menés conjointement. Prajna est censée se développer – ou s'éveiller – progressivement, grâce à la pratique assidue de Sîla et Dhyâna associée à l'étude des textes (sutras). Dans les écoles gradualistes, la Triple Discipline est en quelque sorte morcelée en ce que Prajna, qui représente pourtant les trois premiers pas, est censée se développer graduellement, et donc dans un deuxième temps, par la pratique et par l'étude (et quelquefois par l'intuition). Cette pratique est hasardeuse, car la compréhension intellectuelle peut être prise à tort pour la Prajna. Ce n'est pas une véritable expérience zen ou bouddhique. Ce n'est pas une Vue bouddhique.
Dans le jeu simultané de la Triple Discipline, Prajna est inséparable de Sîla et Dhyâna, en sorte qu'on ne peut concevoir une pratique correcte de la Triple Discipline sans Prajna. On comprend donc que le subitisme s'appuie essentiellement sur la Prajna. Sans Prajna, il n'y a pas de Bouddhisme, et donc pas de Zen. Ce qui implique que le Zen commence avec la Compréhension juste, la Pensée juste et la Parole juste. Mais la plupart des pratiquants du Zen n'ont pas fait d'expérience suffisamment profonde ou décisive pour que leur kenshô soit attesté. Ce n'est pas parce qu'on pratique une voie abrupte (subitiste) que l'on a kenshô. Ça, c'est ce qu'on appelle "faire tomber la vue dans la pratique". Ce n'est pas du Zen ; c'est du cinéma. Et certains zenistes sont d'excellents acteurs. Dommage.
Quoi qu'il en soit, considérer que le Zen s'achève avec la Compréhension juste serait une grossière erreur. Mais considérer que le Zen va au-delà de la Compréhension juste serait une erreur tout aussi grossière. En fait, le Zen est semblable à un univers en expansion à l'intérieur de lui-même. L'univers physique a débuté théoriquement avec le Big Bang. Le temps commence avec le Big Bang et se poursuit dans l'expansion de l'espace. L'espace n'est pas extérieur à l'univers puisqu'il n'y a rien en dehors de l'univers. En fait, le Zen est une pratique dynamique de l'Eveil subit. Si l'on devait s'en tenir à kenshô, qui est la vue dans sa vraie nature, nous ne pourrions pas venir en aide aux êtres sensibles. Nous ne pourrions même pas nous aider nous-mêmes, car nous sommes des êtres sensibles. Nous serions semblables à un univers non-né, avant le Big Bang. Mais les êtres sensibles existent distinctement, en fonction du karma. Les nier revient à nier l'existence et donc à se nier soi-même. Nier l'existence (ou se nier soi-même) est du nihilisme, non conforme à la réalité. L'absence d'ego dans les êtres ne signifie pas l'absence d'être. Donnez-vous un coup de marteau sur un doigt et vérifier par vous-mêmes si la douleur n'existe pas. C'est un bon enseignement de la vacuité, ce coup de marteau sur un doigt. Ou une torsion du nez. Les maîtres du passé donnaient des coups de bâton ou tordaient le nez. À présent, les adeptes du Zen ne veulent plus entendre parler de coups de bâton ou de torsion du nez. Ils veulent comprendre par eux-mêmes et ils ont raison, car l'existence mondaine se charge de leur distribuer des coups. Pas besoin qu'un maître s'y mette aussi.
L'Eveil subit est donc dynamique et qui dit dynamique dit "temps" ou "durée". Le temps est la seule réalité que l'univers ait "inventé" pour rendre compte des créatures dans leur diversité. Et l'Eveil Parfait et Insurpassable, qui est satori, s'exprime par le Principe de Différenciation des Éveillés. L'Eveil subit est donc graduel. Il est non seulement graduel, mais n'a pas de fin. C'est pourquoi l'on parle de Compassion "Infinie". Et si la Compassion est Infinie, aucun Bodhisattva n'entrera en Nirvâna tant qu'il existe un seul être sensible en Samsara. Ce qui implique que les Bodhisattvas sont au plus bas de l'échelle des êtres sensibles, car ils seront les derniers à se libérer. Et si l'on pousse plus loin le raisonnement, si tous les êtres sensibles étaient éveillés, aucun ne serait en Nirvâna. C'est pourquoi l'on dit que l'Eveil et Pratique ne font qu'un. Au final, les Bodhisattvas ne valent pas mieux que n'importe qui. Mais ne vous y trompez pas. Eux savent que Nirvâna et Samsara ne font qu'un. Et quand je dis qu'ils le savent, je dis qu'ils le réalisent, c'est à dire qu'ils le vivent.
Ainsi vont-ils avec des mains secourables.