mardi 26 novembre 2019

Eveil subit vs éveil graduel

Le Zen se définit généralement comme une école subitiste, par opposition aux écoles dites "gradualistes", telles que le Théravada (bouddhisme des Anciens) par exemple, ou encore certaines branches du Mahayâna (Grand Véhicule). En quoi le Zen est-il une école subitiste et que signifie exactement cette spécificité du Zen ?

Le Zen se définit comme une école subitiste au moins depuis le Sixième Patriarche, Huineng, qui a mis en avant le "jeu simultané de la Triple Discipline". La Triple Discipline (Prajna, Sîla et Dhyâna) est la Quatrième Noble Vérité du Sentier qui mène à l'Extinction de la Souffrance. Elle se décline en huit pas représentant l'Octuple Sentier. Les trois premiers pas appartiennent à la Prajna (Sapience) : 1) Compréhension juste, 2) Pensée juste, et 3) Parole juste. Les deux pas suivants appartiennent à Sîla (Ethique) : 4) Action juste et 5) Moyens de vie justes. Enfin, les trois derniers pas appartiennent à Dhyâna (mal traduit par "méditation") : 6) Effort juste, 7) Attention juste et 8) Concentration juste.

Dans les écoles gradualiste, la pratique commence généralement par Sîla et Dhyâna, menés conjointement. Prajna est censée se développer – ou s'éveiller – progressivement, grâce à la pratique assidue de Sîla et Dhyâna associée à l'étude des textes (sutras). Dans les écoles gradualistes, la Triple Discipline est en quelque sorte morcelée en ce que Prajna, qui représente pourtant les trois premiers pas, est censée se développer graduellement, et donc dans un deuxième temps, par la pratique et par l'étude (et quelquefois par l'intuition). Cette pratique est hasardeuse, car la compréhension intellectuelle peut être prise à tort pour la Prajna. Ce n'est pas une véritable expérience zen ou bouddhique. Ce n'est pas une Vue bouddhique.

Dans le jeu simultané de la Triple Discipline, Prajna est inséparable de Sîla et Dhyâna, en sorte qu'on ne peut concevoir une pratique correcte de la Triple Discipline sans Prajna. On comprend donc que le subitisme s'appuie essentiellement sur la Prajna. Sans Prajna, il n'y a pas de Bouddhisme, et donc pas de Zen. Ce qui implique que le Zen commence avec la Compréhension juste, la Pensée juste et la Parole juste. Mais la plupart des pratiquants du Zen n'ont pas fait d'expérience suffisamment profonde ou décisive pour que leur kenshô soit attesté. Ce n'est pas parce qu'on pratique une voie abrupte (subitiste) que l'on a kenshô. Ça, c'est ce qu'on appelle "faire tomber la vue dans la pratique". Ce n'est pas du Zen ; c'est du cinéma. Et certains zenistes sont d'excellents acteurs. Dommage.

Quoi qu'il en soit, considérer que le Zen s'achève avec la Compréhension juste serait une grossière erreur. Mais considérer que le Zen va au-delà de la Compréhension juste serait une erreur tout aussi grossière. En fait, le Zen est semblable à un univers en expansion à l'intérieur de lui-même. L'univers physique a débuté théoriquement avec le Big Bang. Le temps commence avec le Big Bang et se poursuit dans l'expansion de l'espace. L'espace n'est pas extérieur à l'univers puisqu'il n'y a rien en dehors de l'univers. En fait, le Zen est une pratique dynamique de l'Eveil subit. Si l'on devait s'en tenir à kenshô, qui est la vue dans sa vraie nature, nous ne pourrions pas venir en aide aux êtres sensibles. Nous ne pourrions même pas nous aider nous-mêmes, car nous sommes des êtres sensibles. Nous serions semblables à un univers non-né, avant le Big Bang. Mais les êtres sensibles existent distinctement, en fonction du karma. Les nier revient à nier l'existence et donc à se nier soi-même. Nier l'existence (ou se nier soi-même) est du nihilisme, non conforme à la réalité. L'absence d'ego dans les êtres ne signifie pas l'absence d'être. Donnez-vous un coup de marteau sur un doigt et vérifier par vous-mêmes si la douleur n'existe pas. C'est un bon enseignement de la vacuité, ce coup de marteau sur un doigt. Ou une torsion du nez. Les maîtres du passé donnaient des coups de bâton ou tordaient le nez. À présent, les adeptes du Zen ne veulent plus entendre parler de coups de bâton ou de torsion du nez. Ils veulent comprendre par eux-mêmes et ils ont raison, car l'existence mondaine se charge de leur distribuer des coups. Pas besoin qu'un maître s'y mette aussi.

L'Eveil subit est donc dynamique et qui dit dynamique dit "temps" ou "durée". Le temps est la seule réalité que l'univers ait "inventé" pour rendre compte des créatures dans leur diversité. Et l'Eveil Parfait et Insurpassable, qui est satori, s'exprime par le Principe de Différenciation des Éveillés. L'Eveil subit est donc graduel. Il est non seulement graduel, mais n'a pas de fin. C'est pourquoi l'on parle de Compassion "Infinie". Et si la Compassion est Infinie, aucun Bodhisattva n'entrera en Nirvâna tant qu'il existe un seul être sensible en Samsara. Ce qui implique que les Bodhisattvas sont au plus bas de l'échelle des êtres sensibles, car ils seront les derniers à se libérer. Et si l'on pousse plus loin le raisonnement, si tous les êtres sensibles étaient éveillés, aucun ne serait en Nirvâna. C'est pourquoi l'on dit que l'Eveil et Pratique ne font qu'un. Au final, les Bodhisattvas ne valent pas mieux que n'importe qui. Mais ne vous y trompez pas. Eux savent que Nirvâna et Samsara ne font qu'un. Et quand je dis qu'ils le savent, je dis qu'ils le réalisent, c'est à dire qu'ils le vivent.

Ainsi vont-ils avec des mains secourables.


jeudi 21 novembre 2019

Le dernier makyô du Bodhisattva

Quand le pratiquant est parvenu à voir dans sa vraie nature, il reconnaît en lui l’homme « sans situation ». Mais il ne l’a pas pour autant intégré – pas encore – et n’est donc pas libéré, au sens strict. Il demeure – par l’effet de la Compassion Infinie qui s’exprime naturellement dans sa nature de Bouddha  – encore présent au monde qui l’entoure. Ce monde alentour n’est pas qu’une simple « vue de l’esprit ». À chaque instant, des êtres naissent et meurent réellement, pris dans les griffes du Samsara. Ceci est conforme à la Première Noble Vérité. Et par l’effet de la Compassion Infinie, par effet miroir, il est chacun de ces êtres, distinctement. Le Bodhisattva se retrouve ainsi immergé en Samsara, éprouvant la souffrance des êtres du passé, du présent et du futur, sans exception, intimement, et cependant dans l’incapacité de les mener tous vers Nirvâna, alors qu’il s’était pourtant engagé à le faire lors de sa prise de refuge, quand il n’était qu’un bouvier ignorant et égaré, cherchant désespérément son buffle. Il sait désormais qu’il renaîtra encore et encore, jusque à ce que le Samsara se vide de lui-même, ce qui est fondamentalement inconcevable. Et de fait, la Libération de tous les êtres sensibles est fondamentalement inconcevable. Il n’y a donc pas, au sens objectif, de Libération. En d’autres termes, le Bodhisattva réalise que son vœu initial – tel qu’il l’avait imaginé et formulé – ne peut être respecté, en sorte qu’il sera le dernier à rejoindre Nirvâna. Il est semblable à ce maître zen suspendu à la branche d’un arbre (1). Être le dernier à rejoindre Nirvâna n’est pas une punition pour manquement à ses engagements, mais un fait nécessaire. Ainsi, le karma n’est pas une punition pour le Bodhisattva, mais une nécessité conforme à sa nature de Bouddha, pour lui permettre de mettre en œuvre son vœu initial, indéfiniment. Ce vœu initial, il ne pouvait donc y échapper, et cela même s’il ignorait encore tout de sa vraie nature. Car y échapper aurait signifié mettre fin à l’action du Bodhisattva, ce qui n’est pas en accord avec sa nature de Bouddha et plus spécifiquement sa sagesse incarnée, qui est la Compassion Infinie. Ainsi, ce vœu de Bodhisattva n’est pas autre chose que l’Effort Juste, lequel consiste à revenir sans cesse, indéfiniment, pour « faire tourner la roue du Dharma ».

Ce qu’on appelle le dernier makyô du Bodhisattva est l’irréalisme nécessaire de son vœu initial. Cet irréalisme n’est pas la preuve de l’échec du Bodhisattva, mais le fait que la Libération de tous les êtres sensibles n’est pas de ce monde. De fait, le Nirvâna n’est rigoureusement pas de ce monde. Mais il n’est pas d’un autre monde pour autant. Pour trouver Nirvâna, pour mettre fin à son dernier makyô, le Bodhisattva devra non seulement briser le miroir, mais aussi le traverser. Il devra donc s’établir définitivement dans l’équivalence du Nirvâna et du Samsara.

Par principe, la brisure du miroir implique sa traversée immédiate, subite. Mais dans les faits, il existe, malgré la simultanéité de la rupture et de la traversée du miroir dans l’expérience, une progression – un mouvement – dans le temps. Le temps est le seul moyen que l’univers – ou la nature – ait mis en place pour rendre compte des différences entre les êtres. Ces êtres, distinctement, s’élèvent en Samsara conformément à leurs actes puis disparaissent dans la vacuité, pour renaître et mourir encore et encore, indéfiniment, jamais les mêmes, mais pourtant jamais différents.

En général, quand on parle de makyô, dans le Zen, on fait référence à des expériences visionnaires sans dimension sapientiale, et plus spécifiquement à des fantasmagories. Les makyô se développent surtout lors des phases de concentration intense. Les visions supranaturelles sont généralement très lumineuses et très intenses. Il s’agit le plus souvent d’expériences mystiques durant lesquelles le pratiquant a la sensation de s’unir à un Principe Supérieur et Transcendant. Durant l’expérience, le pratiquant perd le sentiment du moi – de l’ego – pour s’unir à un esprit plus vaste, infini, infiniment doux, paradisiaque. Lorsque je pratiquais Powa, mon corps devait être visualisé comme étant celui de Tchenrezi dont le canal central s’ouvrait au sommet du crâne où le Bouddha Amitabha se trouvait assis dans la posture adamantine. Il s’agissait d’abord d’une visualisation « rudimentaire », accompagnée de récitations du mantra d’Amitabha. Mais au terme des récitations du mantra, la visualisation explosa soudain, et je devins Tchenrezi. Cette transformation se caractérisait par d’intenses sensations d’orgasme flamboyant dans lequel je perdais toute sensation d’espace et de temps et bien sûr d’ego. Au sens mystique, je me retrouvais dans la Terre Pure du Bouddha Amitabha, comme un avant-goût de ma future renaissance. Il n’y avait aucun caractère sapiential, dans cette expérience. J’étais en mesure de la renouveler aussi souvent que je le souhaitais. Et bien sûr, j’y prenais goût. Il ne pouvait exister pour moi alors d’expérience plus lumineuse, plus intense que celle-ci.

Le pratiquant qui s’adonne à ce genre d’expérience a, en principe et au préalable, avec sa prise de refuge, prononcé les vœux de Bodhisattva. Dans ces vœux, le Bodhisattva prend fermement la résolution de renaître aussi souvent que nécessaire pour aider tous les êtres sensibles, sans exception, à se libérer du Samsara. Le Bodhisattva n’étant pas l’équivalent d’un rédempteur, son rôle consistera essentiellement à transmettre l’enseignement (le Dharma), qui est comme une barque permettant de passer de la rive du Samsara à celle du Nirvâna. Le Bodhisattva, dans ce sens, est une sorte de passeur entre deux rives.

Mais la libération de tous les êtres sensibles est une expérience impossible. Elle est impossible, car tous les êtres sensibles ne peuvent avoir accès à la Compréhension Juste et donc à Nirvâna. Il existe des classes d’êtres pour qui l’enseignement du Bouddha demeure sans effet. Et le Bodhisattva ne peut éviter les (re)naissances futures dans ces classes d’êtres défavorables.

Le Bodhisattva n’a donc d’autre solution que celle d’accepter cet état de faits par l’intégration constante – et reconnue dans l’expérience zen décisive par l’union de l’hôte et du visiteur – de l’équivalence du Nirvâna et du Samsara. La Vue dans sa vraie nature a consisté à couper en quelque sorte le moteur de l’action (karma). Mais de la même façon qu’un capitaine qui coupe le moteur de son navire ne peut empêcher celui-ci d’avancer sur son erre, à cause de l’énergie cinétique, le Bodhisattva ne peut empêcher les actions passées de produire leurs effets. Bodhidharma disait qu’il fallait « accepter la haine comme rétribution ». Accepter la haine, c’est accepter les conséquences de ses fautes passées. Et ses fautes passées, le Bodhisattva le comprend à présent, ne sont pas limitées à celles qu’il a pu commettre lui, à titre personnel, durant sa propre existence relative, mais sont en réalité celles de tous les êtres sensibles sans exception avec qui, par Compassion Infinie, il est foncièrement solidaire, dès lors qu’il ne fait qu’un avec eux.

Mais que signifie, au juste, « accepter la haine comme rétribution » ? Tout simplement pratiquer l’équivalence du Nirvana et du Samsara. Et qu’est-ce que l’équivalence du Nirvâna et du Samsara ? Tout simplement la Triple Discipline unifiée dans son « jeu simultané » et dynamique dans sa progression graduelle. Le Bodhisattva doit donc endosser indéfiniment son rôle de Nirmanakâya, car il doit être vu et surtout reconnu par tous les êtres sensibles, distinctement. Il doit donc sans cesse revenir en Samsara. Le dernier makyô du Bodhisattva relève donc d’une sorte de fantasmagorie dans laquelle il se laisse prendre volontairement et malgré lui (car il ne peut changer le cours des choses, déterminé par le karma). C’est pourquoi il se trouve comme ce maître zen suspendu à une haute branche d’un arbre. Quoi qu’il décide de faire, suite à la question du passant, il connaîtra la mort et la renaissance.

Ainsi va-t-il, avec des mains secourables (2).



(1) Cf. billet Le Zen en guerre
(2) Il s'agit du titre du 10ème tableau du dressage du buffle. 


mardi 19 novembre 2019

Ryutan souffle sur la bougie et Tokusan s'éveille à sa vraie nature

Tokusan, avant d’avoir reconnu sa vraie nature, était un philosophe et un lettré. Il pensait que la compréhension profonde des sutras relevait de l’analyse conceptuelle et que la nature de Bouddha était accessible à la raison. Il s’apprêtait à confronter ses vues à celles de Ryutan (un maître zen réputé) pour lui démontrer la vanité ou la fatuité du Zen. Car en plus d’être lettré, Tokusan était arrogant.

L’histoire raconte que Tokusan, alors qu’il était en chemin pour rencontrer Ryutan, fit escale dans une auberge pour se restaurer. Se restaurer se dit en chinois "tien-sin", qui signifie littéralement "ponctuer l’esprit". Il portait avec lui des commentaires du Vajracchedikâ Sûtra. La tenancière de l’auberge, intéressée, lui demanda : "Puis-je vous poser une question ? Si vous répondez d’une manière satisfaisante, vous n’aurez pas à payer votre repas, sinon, vous devrez aller ailleurs." Tokusan accepta.

La tenancière lui posa alors le problème suivant : "J’ai lu, dans le Vajracchedikâ, que l’esprit ne peut être atteint ni dans le passé, ni dans le présent, ni dans l’avenir. S’il en est ainsi, quel esprit désirez-vous ponctuer ?"

Tokusan ne sut comment répondre à cette question. Bien sûr, il dut aller se restaurer ailleurs, mais son orgueil fut blessé, car jamais il n’aurait pensé qu’une tenancière – qu’il supposait inculte – puisse le piéger sur un sujet dharmique de cet ordre. Qu’en serait-il alors avec Ryotan ? Tokusan décida au final de rencontrer le maître zen, non pas pour tenter de lui montrer la fatuité de son enseignement cette fois, mais afin d’être instruit par ce dernier.

Un soir, Ryutan et son disciple Tokusan conversent sur les points complexes du Dharma. Tard dans la nuit, Tokusan prend congé du maître. Il ouvre la porte mais la nuit est si noire qu’il ne voit pas plus loin que le bout de ses sandales. Ryutan prend alors une bougie, l’allume, la tend à son disciple et, au moment où ce dernier la saisit, souffle sur la flamme et la bougie s’éteint. À cet instant précis, l’obscurité est totale et l’esprit de Tokusan s’ouvre à sa vraie nature.

L’histoire raconte que suite à cette expérience zen décisive, Tokusan brûla tous ses livres et les commentaires des sutras. (1)

Quel est le rapport entre l’expérience zen décisive de Tokusan et l’action de Ruytan, quand ce dernier souffla sur la flamme de la bougie pour l’éteindre ?

Que représente une bougie allumée dans le noir ? C’est un peu la même chose que l’analyse conceptuelle qui éclaire les textes des sutras et leurs commentaires. C’est un ancrage sûr pour le mental. Si l’on veut éviter de se fourvoyer, il n’y a rien de tel que la lampe de la raison pour nous éclairer. Pourtant, la lampe de la raison et de l’analyse conceptuelle a été incapable de résoudre le problème que posa la tenancière de l’auberge à Tokusan. Ce problème l’avait bien sûr bouleversé, à tel point que ses certitudes, sa confiance en sa propre compréhension intellectuelle des sutras, volèrent en éclat. Et bien évidemment, un doute massif s’empara de lui. Ce doute ne signifiait pas pour Tokusan que le Vajracchedikâ ne présentât aucun intérêt ou encore que les commentaires qu’il possédait fussent erronés. Ce n’était évidemment pas le cas. Ce doute se portait sur sa propre compréhension, sur la manière dont il abordait les choses ou, si l’on préfère, sur la qualité de l’éclairage dont il se servait pour comprendre les sutras et leurs commentaires.

Le problème de la tenancière est assimilable à une forme de kôan. On serait peut-être tenté de répondre, en première intention, que si l’esprit ne peut être atteint ni dans le passé, ni dans le présent, ni dans l’avenir, alors cela signifie tout simplement que l’esprit – dans sa vraie nature – se trouve en dehors du temps. Un peu comme une sorte de réalité supramondaine qui échapperait à toutes sortes de contingences physiques ou matérielles. C’est peut-être le point de vue de la métaphysique, mais ce n’est certainement pas le point de vue du Zen. Tokusan, bien après son éveil, alors qu’il était devenu lui-même un maître zen réputé, montrait souvent un bâton à ses disciples et leur disait : "Si vous appelez cela un bâton, vous aurez trente coups ; si vous ne l’appelez pas un bâton, vous aurez trente coups ! Comment l'appellerez-vous (pour éviter mes foudres) ?" Peut-on supposer que Tokusan pensait que la véritable nature du bâton était d’ordre métaphysique, hors du temps ou de toutes contingences matérielles ou physiques ? Comment aurait-il pu alors donner ses trente coups, si tel avait été le cas ? L’on comprend ici l’intérêt de ces trente coups de bâton. C’est un enseignement très sûr. Au moins aussi sûr que celui de souffler sur la flamme d’une bougie quand on veut voir dans la nuit.


Dans le Zen, ce qui est éclairant, ce n’est pas la lumière d’une lampe mais l’obscurité. Hakuin disait que "le Dharmakâya, bien que brillant, est noir comme laque". Le Dharmakâya est la véritable nature de l’esprit. Il combine deux qualités qui sont la vacuité et la clarté. Laissons de côté ici la vacuité pour nous concentrer sur la clarté. La clarté, c’est ce qui va illuminer l’esprit de Tokusan quand le maître Ryotan va éteindre la bougie. C’est la brillance du Dharmakâya, laquelle est "noire comme laque". Il ne faudrait pas toutefois supposer que pour comprendre le Zen, il faut arrêter de penser ou d’analyser et se mettre à marcher dans le noir sans s’aider d’une lampe. Ce serait une très mauvaise idée, en particulier si le chemin est accidenté. En réalité, quand Ryotan souffla sur la bougie, Tokusan rencontra son propre visage, qui est son Nirmanakâya. Rencontrer son propre Nirmanakâya, c’est faire en sorte que l’esprit se retourne sur lui-même et se reconnaisse au-delà de toutes ses apparences. C’est-à-dire quand l’esprit rencontre sa propre nature de Bouddha. Le Nirmanakâya est dit : Corps d’Apparition du Bouddha. Vous avez bien sûr compris que Ryotan ne s’est évidemment pas contenté d’éteindre une bougie. Il était aussi la tenancière de l’auberge... Et peut-être bien d'autres choses encore, que l'histoire ne dit pas.


(1) D'après Essais sur le Bouddhisme zen. D.T. Suzuki

samedi 16 novembre 2019

L'usage des kôans dans le Zen

Les kôans ont été introduits par les maîtres zen dans la pratique, vers le XIème siècle, parce que les moines et adeptes d'alors avaient perdu le sens de "l'esprit d'investigation" (1). Ils pratiquaient tous la Triple Discipline (c'est-à-dire Prajna, Sîla et Dhyâna) (2), mais en la morcelant. Ainsi, Prajna était devenue une sorte de jeu intellectuel pour philosophes du Madhyamaka, Dhyâna une pratique du quiétisme, et Sîla un enseignement de préceptes régissant le cadre de la vie monastique. Chaque moine choisissait en quelque sorte sa spécialité pour devenir un maître en Dhyâna, en Prajna ou en Sîla. En d'autres termes, l'essentiel de l'enseignement Chan (Zen), depuis Bodhidharma, qui était le véritable premier patriarche, avait été perdu de vue. Et l'expérience a montré que ce sont bien les kôans qui ont permis au Zen de renaître, en quelques sortes, de ses cendres.

Mais qu'est-ce qu'un kôan ? Il s'agit d'un document officiel, authentique. Un peu comme un passeport qui permet – quand on le présente aux douaniers – de traverser une frontière pour se rendre d'un pays à un autre. Dans le contexte du Zen, l'idée est un peu la même : un kôan est en quelque sorte ce qui permet de passer la frontière séparant le Samsara du Nirvâna. Et, dans cette métaphore, le douanier est le maître zen, qui valide ou non la "compréhension" du kôan. Comprendre le kôan signifie "passer le kôan".

Concernant la compréhension, il convient d'avoir à l'esprit que celle-ci ne peut pas s'appuyer sur une approche philosophique du Zen. En effet, la plupart des commentaires ne sont que des explications "rationnelles" des différents cas qui n'épuisent jamais le sens profond du kôan. Et les maîtres zen refusent les explications intellectuelles.

Cela étant, répondre correctement à un kôan ne signifie pas toujours kenshô. Et inversement, kenshô peut très bien être obtenu sans le passage des kôans.

Il existeraient environ 1700 kôans répertoriés. Mais peu importe le nombre réel, puisque chaque instant de notre vie est un kôan. Car à chaque instant de notre vie, nous faisons, consciemment ou pas, un choix. Ce choix va déterminer notre karma. Or, notre karma ne concerne pas uniquement l'avenir. Il concerne aussi notre état présent, actuel. Un kôan dit : "le flocon tombe à sa juste place". Sa juste place est précisément son karma. Où que vous soyez à cet instant précis, vous qui me lisez (et même ceux qui ne me lisent pas), êtes à votre juste place. Pourquoi cela ? Parce que personne d'autre que vous ne peut s'y trouver. Et si personne d'autre ne peut s'y trouver, cela signifie non seulement que le karma vous concerne en propre, ne peut être partagé avec personne d'autre, mais aussi que vous l'avez mérité, d'une certaine façon. C'est en cela que le karma est "juste". Résoudre un kôan revient donc à décider ce que nous sommes présentement. Un autre kôan, en lien avec le précédent, dit : "où que l'on soit, c'est le zendô". Le zendô est l'espace de la pratique du Zen (zazen) et donc la demeure de l'activité du Bouddha. Autrement dit, résoudre un kôan revient à ne faire qu'un avec son kôan, c'est-à-dire avec soi-même. Est-il possible de ne pas être un avec ce que l'on est ? Seulement quand on ne sait pas résoudre son kôan. 

Voici un kôan connu qui résume à lui-seul la situation : "un buffle veut passer par une fenêtre. Les cornes, la tête, le cou, le tronc et les quatre pattes passent. Mais la queue ne passe pas."

Sumi-e du kôan du buffle et de la fenêtre (Hakuin) (3) 

Ce kôan peut être interprété de différentes manières. Certains affirment que la queue est l'ego, qui est l'obstacle illusoire dont il faut se séparer. D'autres affirment que la queue représentent les désirs et le kôan renferme la question de savoir si l'on peut vraiment vivre en se coupant de ses désirs. Au fond, ces deux réponses se rejoignent : le kôan n'est pas passé tant que la question du désir ou de l'ego n'est pas résolue. Et que ce passe-t-il quand le kôan n'est pas passé ? On reste coincé dans l'encadrement de la fenêtre par un obstacle illusoire. Et que signifie "on reste coincé dans l'encadrement de la fenêtre ?" Cela signifie que nous avons perdu notre libre arbitre. On présente souvent le karma comme une loi de cause à effet dans un cadre déterministe. Ce cadre déterministe est évidemment cette fenêtre à travers laquelle la queue ne passe pas. Pourtant, en réalité, la queue passe. Elle passe toujours. Elle est d'ailleurs passée, mais nous ne la voyons pas passer. Dans notre tête, nous sommes toujours prisonniers dans l'encadrement de la fenêtre. 

Au delà de ça, les kôans dans le Zen servent également – sinon essentiellement – à introduire un doute dans l'esprit du pratiquant. Le doute est "l'esprit d'investigation". Tous les kôans renferment une question de fond, rattachée à l'une des trois disciplines de la 4ème Noble Vérité. Cette question peut revêtir différents aspects, mais la réponse est toujours la même. Du reste, tous les kôans peuvent s'énoncer avec une seule question : "Quelle est la réponse aux questions qui ne vous sont pas posées ?" Les questions qui ne vous sont pas posées sont celles qui sont apparemment cachées dans chaque instant de votre existence et auxquelles vous répondez le plus souvent sans vous en rendre compte, car ce n'est pas votre "petit moi" (ego) qui répond, mais votre vraie nature (ou nature de Bouddha). C'est la question du choix qui se pose à chaque instant. Chercher la réponse, est le doute ; l'esprit d'investigation. Le doute est associé à une détermination sans faille et une foi inébranlable. La détermination est l'acte de la volonté, c'est-à-dire l'énergie développée à partir de la volonté. Et la volonté est sa nature de Bouddha. Et la foi inébranlable est la foi en sa nature de Bouddha, car sans la foi, la détermination ne peut pas se développer et le doute est inexistant. Autrement dit, la foi est la base. Shunryu Suzuki disait : "Le plus important dans notre pratique, est la foi en notre nature de Bouddha." (4) 

En réalité, la foi n'est jamais aveugle, dans le Zen. Elle suppose donc le discernement qui est la Vue dans sa vraie nature (kenshô). Or le discernement ne peut pas s'obtenir sans la détermination et sans le doute. C'est pourquoi l'on parle des trois piliers du Zen (foi, doute et détermination) et non d'un seul (la foi), car au moindre souffle de vent, le pilier peut se coucher. En réalité, la foi doit être profondément enracinée. Mais pour cela, il faut une détermination sans faille. Et une masse de doute pour l'enfoncer profondément dans le sol. 



(1) L'esprit d'investigation est une formule employée régulièrement par D.T. Suzuki pour définir le doute non sceptique qui constitue l'un des trois piliers du Zen (avec la foi et la détermination).

(2) La Triple Discipline (Prajna, Sîla et Dhyâna) se décline en huit pas (Octuple Sentier) : Prajna : 1) Compréhension juste, 2) Pensée juste, 3) Parole juste ; Sîla : 4) Action juste, 5) Moyens de vie justes ; Dhyâna : 6) Effort juste, 7) attention juste, 8) Concentration juste. La Triple Discipline, avec ses huit pas, constitue la 4ème Noble Vérité du sentier qui mène à l'extinction de la souffrance.

(3) Cf. Rien qu'un sac de peau. Kazuaki Tanahashi. Albin Michel.

(4) Esprit neuf, esprit zen. Shunryu Suzuki. Seuil.



jeudi 14 novembre 2019

Quelques nouvelles (suites)

J'animerai une conférence, le jeudi 05 décembre 2019, à partir de 19H00, dans l'espace "Locu Teatrale". Il y sera bien sûr question de Zen et plus précisément de "Sa vraie nature dans le Zen".


Texte de présentation de la conférence 

D’après le sutra du Nirvâna (texte canonique du Bouddhisme Mahayâna), tous les êtres sensibles, c’est-à-dire possédant a minima une conscience et des formations mentales, ont la nature de Bouddha.

Pour le Bouddhisme en général et le Zen en particulier, la nature de Bouddha est l’équivalent de sa vraie nature ou nature propre ou encore nature de l’esprit.

De tout temps, les hommes ont été à la recherche de leur vraie nature, non pas comme un inaccessible mais comme une solution tangible, efficace et définitive à leurs angoisses existentielles, à l’inconnu, à la peur, à la souffrance et à la mort.

Entre les religions éternalistes vénérant un Dieu créateur, absolu et hors d’atteinte, et le matérialisme nihiliste des béhavioristes vouant un culte aux vérités réfutables et transitoires et au cynisme, le Bouddhisme – et donc le Zen – a choisi la Voie du Milieu (Madhyamaka).

Mais qu’est-ce que sa vraie nature dans le Zen ? Ni phénoménale ni hors de toute existence manifestée et sensible, sa vraie nature est sa dimension humaine, libre de troubles, d’erreurs et de souillures. Opposée à la notion d’ego – qui s’élève avec la représentation de soi, structurée selon le mode de la pensée dualiste –, elle la transcende dans l’équivalence du Samsara (dualité sujet/objet) et du Nirvâna (non né, non créé, non pensé, non causé).

Mais on ne saurait évoquer sa vraie nature dans le Zen sans parler des six classes d’êtres sensibles, semblables aux six pétales d’une fleur dont le pistil est sa nature de Bouddha. Car ces six classes d’êtres représentent nos tendances, nos comportements, notre capacité à nous éveiller mais aussi à nous égarer. Selon la Voie que nous aurons décidé d’emprunter.


À la fin de la conférence, les auditeurs seront invités à un atelier que j'animerai le samedi 07 décembre, à 19H00, dans les locaux de l'association Salvia. Ces ateliers seront susceptibles de se poursuivre, selon le degré de fréquentation. Les thèmes abordés (liste non exhaustive), par atelier, seront les suivants :

1) Les Quatre Nobles Vérités et la pratique du jeu simultané de la Triple Discipline
2) Les kôans dans le Rinzaï (notion de kenshô)
3) Légende de Hùn Tùn et son lien avec Kannon
4) Équivalence Samsara Nirvâna.
5) Les 10 tableaux du dressage du buffle.
...








jeudi 7 novembre 2019

Le Zen en guerre

Le Zen en guerre est le titre d'un ouvrage de Brian Victoria, paru aux éditions du Seuil en 2001. À l'époque de sa sortie, et longtemps après, cet ouvrage a été considéré, en Occident, comme un véritable pavé dans la mare du Zen. En effet, cette forme japonaise du Bouddhisme mahayâna, qui jusqu'alors était associée à une discipline de sagesse, devenait le code du bushido – la voie du guerrier – dont les samouraïs sanguinaires représentaient la figure emblématique.


Je ne vais pas ici me lancer dans une chronique du livre, que je trouve par ailleurs très instructif, mais me pencher sur la problématique qu'il soulève au plan de l'éthique bouddhique (Sîla). Pour dire les choses simplement (autant que crûment), en temps de guerre et au strict plan juridique, tuer un être humain au combat est licite. Et dans cette perspective, pour sortir vainqueur, il va de soi qu'il vaut mieux tuer qu'être tué. Au plan éthique, en revanche, la question est bien plus délicate. Le Bouddhisme – et donc le Zen –, quant à lui, réprouve le fait d'ôter la vie, en temps de guerre comme en temps de paix.

Or, durant la deuxième guerre mondiale, le clergé zen nippon a non seulement formé des soldats japonais à l'art de la guerre, mais aussi à mourir en héros et à tuer (kamikazes, par exemple). En clair, le Zen japonais, pourtant historiquement rattaché au Bouddhisme mahayâna, ne respectait apparemment pas l'éthique bouddhique et se trouvait donc "hors de la Voie" (Gedo zen). Cette attitude des maîtres zen n'a pas manqué de surprendre – et c'est un euphémisme – les Occidentaux pour qui le Bouddhisme était, a priori, une religion de paix et de compassion. Comment expliquer un tel comportement ? Pour la plupart des bouddhistes (et non bouddhistes) les maîtres zen durant la seconde guerre mondiale ont clairement failli à la parole du Bouddha.

Mais était-ce vraiment le cas ? Si on prend les textes (sutra) à la lettre, il ne fait aucun doute que tuer un être humain est contraire à l'éthique (Sîla). Le fait que cela se produise en période de conflit armé n'y est pas décrit, à ma connaissance, mais ne doit pas être considéré comme une exception qui confirme la règle. Ôter la vie d'un homme revient non seulement à causer une souffrance immense pour les proches du défunt (famille, amis...), mais aussi à tuer un bouddha potentiel (puisque, selon le sutra du Nirvâna, tous les êtres sensibles ont la nature de Bouddha). C'est donc un crime abominable, d'une ampleur incommensurable. Et bien évidemment, en corollaire, du point de vue bouddhique, le suicide est un crime. Cette observation est importante, car il vient rarement à l'esprit qu'une personne qui se suicide commet, au plan éthique, un crime sur elle-même. En réalité, on considère souvent le suicide comme un acte désespéré et on éprouve plus généralement de la compassion pour la personne qui a mis fin à ses jours – que l'on considère comme une victime et non comme un tueur – plutôt que du ressentiment. Mais cela dépend toutefois du contexte.

Mais quoi qu'il en soit et pour revenir au sujet, quand on s'intéresse au Zen en temps de guerre, il convient d'avoir à l'esprit la loi martiale. Celle-ci avait été décrétée par l'autorité militaire et tout individu qui refusait de se battre était considéré comme un déserteur et – s'il était arrêté – passé par les armes. Et de fait, refuser de se battre revenait en quelque sorte à se suicider. Certes, il ne s'agissait pas d'un suicide au sens strict, c'est à dire volontaire, en ce sens que ce n'était pas le déserteur qui s'appliquait la loi martiale ; il la subissait. Mais le résultat était le même. Et s'il ne se faisait pas prendre, le déserteur devenait un lâche au yeux de la population. Ce qui revenait en quelque sorte à perdre son statut d'humain, car frappé de déshonneur (l'honneur est souvent associé au fait d'être un homme), et donc à mourir d'une certaine façon. On n'est en effet jamais mort que pour les autres. De fait, en temps de guerre et au Japon en particulier, le soldat devait tuer ou être tué ou alors déserter, avec les conséquences éthiques que ce statut de déserteur implique. Quand on examine les faits sous cet aspect, et que l'on est un maître zen chargé par l'autorité temporelle (l'empereur et son armée) de former psychologiquement des soldats à tuer et à mourir, se pose alors un problème éthique très sérieux.

Ceci n'est pas sans rappeler – toutes proportions gardées – le cas du kôan du maître zen suspendu par les mâchoires à la plus haute branche d'un arbre. Il a de plus les mains attachées dans le dos, en sorte que s'il ouvre la bouche, il tombe et se tue. Arrive une personne qui, du sol, lui demande quel est le sens profond du Bouddhisme. Deux choix s'offrent alors au maître zen : soit il ne répond pas et sauve sa vie, mais commet une grave faute éthique car il laisse une personne qui fait appel à lui dans l'ignorance du Samsara ; soit il répond à la question mais tombe et se tue, ce qui est évidemment considéré comme un suicide et donc une faute éthique. Que doit faire le maître zen pour être conforme à l'éthique ?

A priori, on peut penser que quel que soit le choix du maître, celui-ci sera contraire à l'éthique, et que le choix le meilleur doit être le moins grave au plan éthique et karmique. Ça semble tomber sous le sens, sachant que dans la situation où se trouve le maître zen, il ne peut pas se passer de faire un choix. Ou, dit autrement, il ne peut pas ne pas agir. Or, le meilleur choix possible n'est jamais que celui qu'imposent les circonstances. Autrement dit, quand on vit dans un pays en guerre, les circonstance sont telles qu'il faut tuer ou être tué, sachant que les deux possibilités sont à peu près équiprobables. Un maître zen missionné pour former des soldats à accepter leur sort n'a donc d'autre solution que celle d'encourager les hommes à ne faire qu'un avec leur condition karmique. Bodhidharma, le Premier Patriarche du Zen encourageait à "accepter la haine comme rétribution"(1). Le karma n'est pas une fatalité, mais ce que les méandres sont à un cours d'eau. C'est quand il s'agit de s'adapter aux circonstances. Et les circonstances étaient la guerre. On imagine donc mal un responsable du clergé nippon encourager les soldats à déserter (sachant qu'ils seraient alors considérés comme traîtres à la patrie), d'autant que le Japon n'a d'autres frontières que trois mers et un océan, et qu'il est donc difficile de s'y cacher "à vie". Autrement dit, encourager les soldats à renoncer à se battre revenait à les encourager à se faire fusiller de façon certaine. Entre tuer ou se faire tuer, avec une chance sur deux que ce soit l'un ou l'autre, ou se faire tuer avec certitude et avec le déshonneur, le choix est vite vu.

On peut se demander pourquoi le maître zen du kôan avait les deux mains attachées dans le dos et une vie qui ne tenait que par la force de ses mâchoires. C'est bien entendu une situation absurde. Mais, à la réflexion, pas plus que ne l'est le monde en temps de guerre. Non ?



(1) Cf. "Les deux accès à la réalité ultime" Bodhidharma. Tch'an (Zen), racines et floraisons. Hermes