mercredi 27 janvier 2021

La volonté comme nature de Bouddha #2

Dans l'article précédent, j'évoquais la métaphore d'une représentation éternaliste de sa nature de Bouddha, perçue ou comprise comme un soleil au centre de l'univers, lumineux, immobile et transcendant. Autour de ce principe, des planètes recevant des quantités de lumières plus ou moins importantes en fonction de leurs positions, leurs mouvements, ou, pour le dire simplement : leur karma.

Cette métaphore, qui peut aider à comprendre certaines choses, n'évite pas l'écueil de la dualité : d'un côté la nature de Bouddha, indispensable mais extérieure aux planètes, et d'un autre côté, les planètes elles-mêmes qui seraient privées de soleil et donc de lumière et de chaleur si cette nature de Bouddha "solaire" n'existait pas. C'est la manière de voir les choses dans les religions dites "éternalistes", mais ce n'est bien entendu pas la vision bouddhique. Cette métaphore était donc limité aux deux premiers tableaux du dressage du buffle, c'est-à-dire avant que le bouvier ne rencontre sa vraie nature. 

Or j'ai expliqué, dans un article sur les trois premiers tableaux du dressage du buffle, qu'au troisième tableau, quand le buffle apparaît, en fait, il disparaît. Cette disparition est l'expérience de la vacuité. Et l'on ne peut la comprendre autrement qu'en faisant ce retournement de l'esprit sur lui-même qui est la coïncidence de l'esprit observé avec l'esprit observant. 

Si l'on rapporte l'apparition/disparition du buffle à la métaphore céleste, ce serait comme si, après un retournement de la planète sur elle-même, le soleil disparaissait. Cette disparition du soleil pourrait être comprise à tort comme un plongeon dans l'obscurité et donc dans l'ignorance, voire dans la mort, car aucune vie n'est possible sans soleil. Mais Hakuin disait du Dharmaâya, c'est-à-dire "Le Grand Miroir Parfait", qu'il est brillant, mais noir comme laque. 

Cette noirceur brillante, c'est la nature de l'esprit quand l'idée d'un soleil lumineux et transcendant disparaît du tableau. C'est sa nature de Bouddha telle qu'elle est en elle-même, c'est-à-dire vide (noire comme laque) et brillante (sapientiale), car elle ne sombre pas dans le black-out ou dans la mort. 

Et l'on comprend que sa nature de Bouddha n'est rien d'autre que l'homme ordinaire avec son esprit ordinaire, qui décide seul, parce qu'il est fondamentalement libre et sa brillance ne dépend d'aucune autre lumière que de sa sapience. Cet homme libre peut décider de tourner le dos à sa nature de Bouddha et se laisser porter par les phénomènes extérieurs, les injonctions qui nous gouvernent, ou bien peut décider de se tourner vers sa vraie nature, qui est fondamentalement libre. C'est selon. Il n'y a pas de différence fondamentale entre un ignorant et un Bouddha. Ce n'est qu'une question de perspective et de décision personnelle : être libre ou non.

Et une petite vidéo pour redire tout cela, avec des mots comme ils viennent.



  

lundi 25 janvier 2021

La Volonté comme nature de Bouddha #1

Je me suis souvent exprimé à propos de la relation étroite qui unit la volonté à la nature de Bouddha, au point qu'on peut les considérer comme synonymes. En général, dans la littérature, la notion de nature de Bouddha est très peu claire, pour ne pas dire opaque. Elle est souvent associée à un principe transcendant, absolu et immobile, car non sujette aux changements dans le temps et dans l'espace, ce qui la distingue peu, pour ne pas dire pas du tout, du principe divin, c'est-à-dire de ce qu'entendent les religions éternalistes quand elles se réfèrent à Dieu ou au Soi. 

Cette sorte de représentation, pour merveilleuse qu'elle puisse paraître, n'est pas le but de la voie bouddhique. Bien sûr, ce principe transcendant est une sorte de soleil qui illumine et réchauffe, et sans lui, aucune vie ne serait possible. Mais quel est son rapport avec l'individu, avec tous les êtres plongés dans la souffrance ? Une planète qui tourne sur elle-même autour du soleil reçoit, partout, une certaine quantité de chaleur et de lumière, du moins suffisamment pour que la vie puisse s'y développer. C'est ce qui se passe sur terre. Mais outre que l'alternance entre le jour et la nuit est le lot de ce genre de planètes, d'autres planètes ne tournent pas sur elles-mêmes, en sorte qu'il existe une face d'elles-mêmes plongée indéfiniment dans l'obscurité. 

L'obscurité est une métaphore qui exprime l'ignorance de sa vraie nature et la souffrance (le froid) qui y est associée. Si cette planète dispose d'une lune, la lune peut réfléchir une partie de la lumière du soleil et éclairer la face obscure. C'est la "lune de vérité" représentée par le bodhisattva qui éclaire les êtres plongés dans l'ignorance, grâce à l'enseignement du Bouddha. 

Mais cette situation n'est pas le véritable éveil. Le véritable éveil consiste à faire en sorte que cette planète opère d'elle-même un retournement sur elle-même, en sorte qu'elle n'ait plus besoin d'une lune, d'un maître. Ce retournement sur elle-même, c'est le retournement de l'esprit sur lui-même pour la reconnaissance de sa vraie nature en éliminant sa face obscure. Il n'y a pas d'autre éveil bouddhiste que celui-là. Et cet éveil ne transforme pas une planète en soleil, mais cette planète peut, à l'instar d'une lune qui éclaire la nuit, éclairer d'autres planètes. Ce retournement n'est pas spontané ; il nécessite un effort et de la détermination. Et cet effort, cette détermination, il ne la tient pas du soleil mais de lui-même. Le Bouddha est un homme, pas un dieu ! Tel est le sens de la pratique zen. 

J'essaye d'expliquer cela, à travers une nouvelle vidéo. 



jeudi 21 janvier 2021

L'obsession de la vérité absolue

Dans le Bouddhisme, en particulier dans le Grand Véhicule (Mahayana), il est souvent question des deux vérités : la vérité conventionnelle (ou relative) et la vérité absolue. La première se réfère aux modes d'apparence des phénomènes, leur causalité, etc. La seconde se réfère à la réalité ultime des choses ; autrement dit à sa nature de Bouddha autrement appelée "vraie nature". Kenshô est le fait de "voir dans sa vraie nature", alors que le mental sous l'emprise de l'ignorance voit les phénomènes selon leurs modes d'apparence et les interprète selon leurs noms ou leurs formes, les sensations qui leur sont associées... Le Bouddhisme nous enseigne que le mode d'apparence des phénomènes se rapporte au Samsara, c'est-à-dire à la dualité sujet/objet, tandis que la vue dans sa vraie nature permet de voir les phénomènes pour ce qu'ils sont : vides de nature propre, impermanents, et facteurs de souffrance. Pour dire les choses simplement, la vérité conventionnelle est propre à l'individu "samsarique" (sujet à l'ignorance et aux afflictions qui en découlent), tandis que la vérité absolue est celle du Bouddha ou du Bodhisattva pleinement éveillé. Et bien entendu, quand il s'engage dans la voie du Bouddha, l'homme n'a de cesse de découvrir cette vérité absolue qui rassure, qui est la paix, qui est Nirvâna. Il a soif de cette vérité. 

C'est ce que j'appelle "l'obsession de la vérité absolue", qui, de mon point de vue, est un sérieux obstacle sur le sentier. 

Dans l'article intitulé "Les Trois Premiers Tableaux du Dressage du Buffle", et en particulier dans la courte vidéo qui l'accompagne, je fais référence à l'injonction de Lin Tsi "Tuez le Bouddha !" Si je devais rapporter cette injonction à la vérité absolue, je dirais que dans le Zen, il n'y a pas de vérité absolue. Il n'y a pas de Bouddha. Mais je le dis à la façon dont Joshu a répondu au moine qui l'interrogeait sur la nature de Bouddha chez le chien : Mu ! Le moine avait interprété la réponse de Joshu comme un non catégorique, qui contredit le sutra du Nirvâna. Quand Lin Tsi dit "Tuez le Bouddha !" pourquoi en serait-il autrement avec la vérité absolue ? Cette vérité absolue n'est-elle pas la vision chimérique d'un inaccessible toujours placé plus loin, plus haut ? Dans la vidéo dont j'ai donné le lien ci-avant, j'affirme "quand le buffle apparaît, c'est là qu'il disparaît !" 

Mais qu'on ne s'y méprenne pas : cette disparition du buffle n'est pas comme s'il était impossible de le voir. Certains pratiquants affirment des truismes du genre "l'œil ne peut pas se voir !" et en concluent que toute démarche tendant à voir le buffle est nécessairement vaine. Mais ce n'est pas ainsi qu'il faut comprendre la phrase "quand le buffle apparaît, c'est là qu'il disparaît". Cette phrase indique que le vide est la forme et la forme est le vide. Cependant, quand vous traversez le buffle, ce n'est pas comme s'il ne restait plus rien ! Cette disparition du buffle vous renvoie à votre vraie nature, et celle-ci est en ce moment en train de lire ces lignes, assise ou non, sur un zafu ou sur une chaise, mais toujours dans le zendô ! Car où que l'on soit, c'est le Zendô !

Une petite vidéo pour dire un peu tout cela avec les mots qui me viennent à l'esprit. Ça change un peu des longs discours !




samedi 16 janvier 2021

Les Trois Premiers Tableaux du Dressage du Buffle

La pratique du Zen est souvent représentée par une sorte d'allégorie qui met en scène un bouvier et son buffle. Cette allégorie se décline en dix tableaux, qui vont du début de la quête bouddhique – quand le zeniste (le bouvier) se lance à la recherche de sa vraie nature (le buffle) – à la réalisation totale de sa nature de Bouddha qui, dans le contexte du Zen, va beaucoup plus loin que la simple vue dans sa vraie nature, qui ne représente que l'accès au troisième tableau. En effet, la voie du Bouddha n'est pas seulement l'éveil, mais la dynamique de cet éveil, laquelle s'exprime dans le déploiement des Sagesses du Bouddha (dont la compassion infinie est sans conteste la plus importante). 

Dans ce billet, je m'en tiens aux trois premiers tableaux, parce que je les estime essentiels. En effet, tout se joue dans les trois premières étapes (les trois premiers tableaux), quand sa vraie nature éveille la volonté – la détermination, qui est l'acte de la volonté – de se mettre en chemin (à la recherche du buffle) pour se reconnaître elle-même (première apparition du buffle). Et tant que cette reconnaissance n'est pas effective, le Bouddha est un autre, même si l'on a trouvé ses empreintes. 

Lin Tsi disait : si tu vois le Bouddha, tue le Bouddha. Dans cette vidéo qui suit, si vous allez jusqu'au bout (elle n'est pas très longue), vous comprendrez, à travers mes derniers mots, ce que signifie vraiment "tuer le Bouddha".