Dans l'article précédent, j'évoquais la métaphore d'une représentation éternaliste de sa nature de Bouddha, perçue ou comprise comme un soleil au centre de l'univers, lumineux, immobile et transcendant. Autour de ce principe, des planètes recevant des quantités de lumières plus ou moins importantes en fonction de leurs positions, leurs mouvements, ou, pour le dire simplement : leur karma.
Cette métaphore, qui peut aider à comprendre certaines choses, n'évite pas l'écueil de la dualité : d'un côté la nature de Bouddha, indispensable mais extérieure aux planètes, et d'un autre côté, les planètes elles-mêmes qui seraient privées de soleil et donc de lumière et de chaleur si cette nature de Bouddha "solaire" n'existait pas. C'est la manière de voir les choses dans les religions dites "éternalistes", mais ce n'est bien entendu pas la vision bouddhique. Cette métaphore était donc limité aux deux premiers tableaux du dressage du buffle, c'est-à-dire avant que le bouvier ne rencontre sa vraie nature.
Or j'ai expliqué, dans un article sur les trois premiers tableaux du dressage du buffle, qu'au troisième tableau, quand le buffle apparaît, en fait, il disparaît. Cette disparition est l'expérience de la vacuité. Et l'on ne peut la comprendre autrement qu'en faisant ce retournement de l'esprit sur lui-même qui est la coïncidence de l'esprit observé avec l'esprit observant.
Si l'on rapporte l'apparition/disparition du buffle à la métaphore céleste, ce serait comme si, après un retournement de la planète sur elle-même, le soleil disparaissait. Cette disparition du soleil pourrait être comprise à tort comme un plongeon dans l'obscurité et donc dans l'ignorance, voire dans la mort, car aucune vie n'est possible sans soleil. Mais Hakuin disait du Dharmaâya, c'est-à-dire "Le Grand Miroir Parfait", qu'il est brillant, mais noir comme laque.
Cette noirceur brillante, c'est la nature de l'esprit quand l'idée d'un soleil lumineux et transcendant disparaît du tableau. C'est sa nature de Bouddha telle qu'elle est en elle-même, c'est-à-dire vide (noire comme laque) et brillante (sapientiale), car elle ne sombre pas dans le black-out ou dans la mort.
Et l'on comprend que sa nature de Bouddha n'est rien d'autre que l'homme ordinaire avec son esprit ordinaire, qui décide seul, parce qu'il est fondamentalement libre et sa brillance ne dépend d'aucune autre lumière que de sa sapience. Cet homme libre peut décider de tourner le dos à sa nature de Bouddha et se laisser porter par les phénomènes extérieurs, les injonctions qui nous gouvernent, ou bien peut décider de se tourner vers sa vraie nature, qui est fondamentalement libre. C'est selon. Il n'y a pas de différence fondamentale entre un ignorant et un Bouddha. Ce n'est qu'une question de perspective et de décision personnelle : être libre ou non.
Et une petite vidéo pour redire tout cela, avec des mots comme ils viennent.