dimanche 10 juillet 2022

Entrer dans le Zendô et en sortir

Un kôan dit "Où que l'on se trouve, c'est le zendô". 

Un zendô est techniquement une salle ou un espace où l'on pratique le Zen. Mais son sens fondamental est la demeure du Bouddha. Le kôan signifie que, puisque tous les êtres ont la nature de Bouddha, alors, où qu'ils se trouvent, ils sont (dans) la demeure du Bouddha. 

Encore faut-il que ces êtres réalisent leur nature de Bouddha. Force est de constater que, dans les faits, une très large majorité des êtres tournent le dos à leur vraie nature. Ce qui signifie que bien qu'ils soient dans le zendô dans leur vraie nature, dans les faits, ils n'y trouvent pas vraiment. Tourner le dos à sa vraie nature est appelé "Ignorance", dans le Bouddhisme (zen). C'est Samsara. 

En corollaire, voir dans sa vraie nature est Nirvâna (Dharmakâya). C'est quand le Bouddha que nous sommes fondamentalement se manifeste. C'est "entrer dans le zendô" ou, si l'on préfère, reconnaître sa vraie nature ou encore, c'est quand "toutes choses retournent à l'Un". 

Quand nous faisons zazen, nous entrons dans le zendô. C'est quand toutes choses retournent à l'Un. À condition bien sûr que nous ayons une approche "verticale" de notre pratique. Le temps s'écoule ordinairement dans le sens du passé au futur. C'est une approche horizontale de sa progression. Entre le passé et le futur, se trouve le présent. Dans une approche verticale, il n'y a ni passé, ni présent, ni futur. Dans la pratique, la verticalité rencontre l'horizontalité. Alors, si vous faites le sussokan, par exemple, le un ne précède pas le deux et le deux ne précède pas le trois... C'est ce qu'on appelle "entrer dans le zendô". Mais on n'entre pas dans le zendô pour y demeurer indéfiniment. Nous devons en sortir. Et quand nous en sortons, le un précède le deux, qui précède le trois... et ainsi de suite. C'est ce à quoi le Un retourne. 

Il y a un différence entre entrer dans le zendô et en sortir. Quand on y entre, c'est quand l'ignorance est transmuée en sapience. Quand on en sort, c'est quand la sapience se manifeste dans les quatre-vingt-quatre-mille doctrines. 

La vidéo qui suit aborde tout cela dans un contexte précis. Il y est question d'un kôan qui s'exprime ainsi : "Puisque où que l'on se trouve est le zendô, comment sortir du zendô ?"




samedi 9 juillet 2022

Compassion et karma

Quand on jette un dé sur un tapis de jeu, on se dit que nous avons une chance sur six de tirer le bon numéro. Ce bon numéro, c'est celui de la chance. Evidemment. Mais si nous examinons correctement les choses, pour que le dé se stabilise sur une face, il ne peut y avoir équiprobabilité de chances. Il faut que des facteurs étrangers à la nature propre du dé (lequel est "non pipé" par principe) favorisent une face plutôt qu'une autre. Et cela est vrai à chaque lancer de dé. La façon de le tenir dans la main, la force du jet, la rugosité du tapis de jeu, la gravité... tout cela participe au fait qu'un seul numéro sortira à chaque lancer. S'il n'y avait pas ces éléments étrangers à la nature propre du dé pour que celui-ci se place sur une face particulière, l'équiprobabilité des chances empêcherait le dé de se positionner sur n'importe laquelle des six faces.

Quand un être est venu au monde, il n'est pas arrivé avec une équiprobabilité de chances de naître ici ou là, riche ou pauvre, mâle ou femelle, chien ou chat, homme ou dieu... S'il y avait une réelle équiprobabilité, cet être n'aurait pas pu naître. Pour dire les choses simplement, on appelle "karma" les éléments étrangers à la nature propre de l'être qui favorisent telle ou telle naissance. Il est très difficile de prédire sur quelle face un dé va tomber. Mais il est encore bien plus difficile de prédire dans quelle famille, à quelle époque, sous quelle forme... va naître tel ou tel être. Cela ne dépend que du karma et il est impossible de remonter à la source du karma.

Il existe un kôan Zen qui dit : "Montre-moi le visage que tu avais avant la naissance de tes parents". La réponse renvoie donc à la nature propre de l'être, avant même qu'il soit balloté par les forces karmiques qui décideront du caractère de son existence. Un peu comme un dé avant qu'il soit jeté sur le tapis de jeu. Sans les forces karmiques, l'être ne pourrait naître. Et c'est pourquoi, à ce stade, on le nomme "non-né". Réaliser le non-né, dans le Zen, revient à réaliser tous les êtres, un peu comme si un dé tombait sur ses six faces en un seul jet. Bien sûr, un dé tombera sur une face et une seule. De la même façon, chaque être qui nait est unique. Réaliser tous les êtres, c'est le sens de la Compassion. Dans le Zen, la Compassion est donc associée à la réalisation de sa nature propre. Au visage d'avant sa naissance. À la Vacuité.

Hakuin, le célèbre maître Zen qui réforma l'école rinzai au dix-huitième siècle, dit : "Kannon signifie observer le son. C'est le son d'une seule main. Si vous comprenez ce point vous serez éveillé. Lorsque vos yeux peuvent voir, le monde entier est Kannon". Kannon est un autre nom du Bodhisattva Avalokiteshvara, le "Grand Compatissant". Le fameux kôan (de Hakuin) : "Pouvez-vous entendre le son d'une seule main ?" est donc similaire à : "Montre-moi le visage que tu avais avant la naissance de tes parents". La réponse est identique. Entendre le son d'une seule main, c'est réaliser sa nature propre. C'est réaliser qu'avant notre naissance, nous sommes tous les êtres. Mais il ne faut pas s'imaginer que ce stade soit celui de tous les êtres indistinctement, indifférenciés. Chaque être reste unique à cause de sa naissance mais demeure non-né dans sa nature propre. Autrement dit, le dé tombe sur ses six faces à chaque lancer, mais nous n'en retenons qu'une seule, à cause du karma. La Compassion consiste donc à réaliser que chaque être unique l'est seulement par sa naissance et que nous sommes donc aussi celui-là.